Moment de détente... ou presque

Keniko observait ses visiteurs. Le regard vague, le corps chancelant. Le nom prononcé par l'homme le poussa à s'incliner à nouveau dans une attitude qu'il voulait la plus respectueuse possible.

Il ne remarquait ni le silence choqué de la femme, ni le regard observateur de l'homme.

Aussi immobile que possible, il tentait de garder un visage avenant.

L'oncle écouta l'homme et posa alors un regard sur la fillette. Malgré l'exaspération qu'elle lui inspirait, voire le dégoût, il essaya de camoufler ses sentiments et prit une voix, qu'il voulu la plus affectueuse possible :

"les Kamis m'en sont témoins, je n'aurai pu supporter la disparition de cette enfant... "

la voix chevrotante, l'air accablé, Keniko espérait que ni l'homme ni la femme ne sauraient déceler sa fourberie.

Il regarda à nouveau l'homme et lui dit :" habile de mes mains ? .. oh oui ! biensûr .. mais mon grand âge m'empêche désormais d'accomplir de lourdes tâches"

Keniko n'avait rien d'un homme trop âgé pour le labeur mais il avait pris l'habitude de ne travailler que lorsque les kobans manquaient pour pouvoir se payer son saké quotidien, sa seule préoccupation.
Or, il avait vendu sa maigre récolte de riz et pouvait subvenir à ses besoins. Que sa nièce ait besoin de manger lui importait peu.

Malgré ses efforts, l'oncle ne put s'empecher d'esquisser un mouvement de recul tandis que la fillette s'approcher de lui.

"oui ... nous verrons ça .. " répondit-il à ses excuses. Il ne pouvait se résoudre à faire le moindre geste d'affection en direction de la fillette.

D'un signe de la main, il lui fit comprendre qu'elle devait reculer... la retenue dont il faisait preuve tendait à se réduire au fil des minutes ...

L'oncle grimaça aux paroles du visiteur. Très vite, il se reprit, tentant de trouver une réponse satisfaisante à ses questions. Les effets de l'alcool se dissipaient peu à peu mais sa colère vis à vis de l'enfant, elle ne tarissait pas. Voilà maintenant que L'homme s'interrogeait sur l'absence de couche pour Yuna. Dans l'esprit de Keniko, une seule solution. Il fallait que ce soit la faute de l'enfant et non la sienne. Aussi, un sourire mauvais vint déformer son visage, sourire qu'il s'empressa d'effacer, prenant un air contrit :" Hélas cette enfant et si peu soigneuse ... Elle disposait bien sûr d'une couche mais elle l'a tellement souillée que j'ai du m'en débarrasser, il y a de cela quelques jours. Et pour punition afin de lui apprendre le respect des choses, je lui ai indiqué qu'elle ne disposerait d'une couche que lorsqu'elle aurait appris à en prendre soin."

Keniko espérait que cette réponse satisferait le visiteur et; à la dérobée, il jeta un regard mauvais à l'enfant, se promettant qu'elle paierait l'humiliation qu'elle lui faisait subir.

Keniko accueilli ensuite la proposition de l'homme avec dépits, ainsi il serait contraint d'aller travailler au yamajiro pour toute aide apportée ... Deux solutions se présentèrent alors à lui, refuser toute aide ou .... c'est alors qu'il eut une idée :

" Peut-être pourrions nous envisager une façon d'apprendre les choses à cette gamine. Contre l'aide que vous nous apporterez, elle pourrait elle-même se rendre au yamajiro afin d'y effectuer quelques travaux. Yuna est robuste et vaillante, elle pourrait vous rendre une multitude de menus services que moi-même et mon grand âge serions incapables de vous apporter."

Fier de lui, Keniko ne doutait pas un instant que cette proposition satisferait tout le monde, lui en premier. Il pourrait ainsi profiter de l'aide, se débarrasser de l'enfant et se faire passer pour un oncle soucieux de l'éducation de l'enfant qu'il élevait bien malgré lui.

Tout à sa fierté de la solution trouvée qui pour lui ne souffrait aucune contradiction, il se laissa aller à observer sans aucune retenue la femme qui restait silencieuse. Son oeil masculin détaillant les courbes féminines tandis que le maître d'armes leur tournait le dos, se dirigeant vers la sortie.

L'oncle ne perdait pas un instant de ce qui se passait. Son esprit réflechissait aussi vite qu'il en était capable.

Voyant le bushi se retourner, il détourna bien vite le regard de la femme répondant toutefois à sa question :" une esclave ? non ... mais ... vous pourriez venir me rendre visite de temps en temps pour voir la petite Yuna."

Un sourire gourmand vint se figer sur sa face rougeaude tandis qu'il se disait qu'ainsi la femme ne refuserait pas de venir voir l'enfant. Autant que cette sale gamine lui serve à quelque chose et sans son bushi d'époux, la femme serait bien plus vulnérable....

Keniko regarda à nouveau l'homme, l'esprit embué par les intentions viles qui l'habitaient et son sourire resta figé tandis qu'il lança :" je ne refuse absolument pas l'aide proposée, et je souhaite même que Yuna en face une expérience et un apprentissage. Votre épouse pourrait l'accompagner lors de ses retours ici."

Keniko était fier de lui, il allait pouvoir tirer un maximum de profit de la situation. Se débarrasser de l'enfant encombrante, pouvoir manger à sa faim et utiliser la totalité de ses kobans dans l'achat de saké, et pourquoi pas ... satisfaire quelques désirs bestiaux qu'il n'avait pu combler depuis de nombreuses années.

Oubliant toute méfiance, il reporta son regard sur la femme ... la trouvant pour le moins bien gironde et parfaitement à son goût.

La patience n'était pas le fort de Keniko, ni même les bonnes manières. Il devait faire un effort énorme afin de paraître le plus honnête possible.
Intérieurement, il maudissait la fillette d'avoir amené ces étrangers en leur demeure. La joie de recevoir de l'aide faisait maintenant place à la déception. Cette aide ne serait pas gratuite et Keniko devrait payer de sa personne et aller travailler chez ces nantis afin de justifier de l'aide apportée.

Il détourna le regard de la femme qu'il détaillait toujours et lorsque le maître d'armes s'adressa de nouveau à lui, Keniko baissa les yeux .... un moment ... Mais le saké aidant, les idées embrouillées, il releva le regard et observa le bushi avant de se retourner vers la fillette.

Alors que le maître d'armes se tournait à nouveau vers la porte, l'oncle adressa un regard noir à la gamine et la colère contenue qui grondait en lui s'imposa brusquement :

"tu vois où tes bêtises nous mènent ?! Tu obliges cet homme à nous venir en aide !!!"

S'adressant alors au bushi :" Nous nous arrangeons seuls depuis des années, et nous mangeons chaque jour à notre faim ! Notre masure n'est certes pas très confortable mais nous avons un toit ! Je n'ai que faire de votre aide ! Yuna et moi nous continuerons à nous arranger seuls ! "

Keniko ne pouvait concevoir l'idée de travailler. Depuis des années, il avait abandonné cette habitude et ne comptait pas la reprendre pour quelque raison que ce soit et désormais la colère lui déformait les traits laissant apparaître son vrai visage.

Ne se rendant plus vraiment compte de la personne à qui il s'adressait, il continua, rouge de colère et le regard braqué sur la fillette :" Tu es responsable de tout ça sale gamine !!! Pourquoi les kamis m'ont-ils mis une horreur telle que toi sur mon chemin ! Tes pauvres parents sont bien soulagés maintenant et c'est moi qui suis obligé de te supporter chaque jour ! Tu n'amènes que soucis et ennuis ! "

Puis son regard allant de la jeune femme au bushi :" vous auriez du la laisser se noyer dans la rivière ! "

Keniko fulminait, incapable désormais de retenir plus la rage qu'il avait envers la fillette et il fondit sur elle, bâton en mains, aussi vite que le saké le lui permettait ....

L'oncle ne cherchait plus à dissimuler. La rage l'en rendait incapable. Il ne prit pas garde à la femme qui se tenait silencieuse depuis un moment et son regard haineux ne quittait plus la fillette. Un rictus déforma son visage tandis que l'enfant tentait de se protéger du mieux qu'elle pouvait.

La lâcheté de Keniko le faisait s'en prendre à la gamine plutôt qu'aux adultes. Il la savait faible et l'emprise qu'il avait sur elle était accentuée encore par les années de brimades.

Aussi fut-il surpris de voir la femme s'interposer et stopper net le bâton qui menaçait s'abattre sur l'enfant. Le regard furibond, il était incapable de maîtrise désormais et un sourire mauvais vint s'afficher sur son visage aux paroles de la femme.

Qui était-elle pour lui parler d'honneur ? Pour lui dire comment élever cette vermine ?

Keniko tenta néanmoins de se radoucir et détailla celle qui lui faisait face de son oeil vicieux.

D'une voix doucereuse, il s'adressa à la femme : " laissez moi corriger cet enfant pour ses méfaits et ... nous pourrons ensuite faire connaissance tous les deux "

L'oncle tira alors sur son bâton, tentant de le dégager de l'emprise de la main féminine.

Il avait totalement oublié la présence du bushi qui s'éloignait.